Article « L’engagement » (2023)

– Par Nathalie Moulis Formatrice IFY

La notion d’engagement est présente dans notre vocabulaire depuis le Moyen Âge, mais son sens a évolué au fil des siècles et s’est considérablement enrichi. Depuis l’engagement qui nous liait par un contrat, puis la promesse de s’engager pour la vie, puis  » laisser en gage  » ses bijoux, puis s’engager dans un passage étroit, puis s’engager dans un combat militaire, à défaut d’engagement religieux en entrant dans les ordres, sans oublier les engagements juridiques avec les obligations, ou être engagé par un contrat d’embauche ; on s’engage maintenant pour une noble cause, sociale, politique ou culturelle avec par exemple des chansons engagées, ou de la littérature engagée. Traditionnellement, l’engagement était plutôt collectif, organisé par des institutions diverses et variées. Mais aujourd’hui l’engagement devient plus individuel, il se personnalise et parait plus intuitif, éthique et authentique. Que ce soit par la vocation (envie d’agir) ou par la motivation (raison d’agir), l’engagement suppose de l’audace, une mobilisation de soi, une puissante capacité d’innovation, d’initiative, une puissance vitale, de la volonté, de la fidélité, de la constance, de la persévérance et parfois de l’opiniâtreté pour tenir un engagement. L’axe des motivations intérieures (envie d’agir) et l’axe du raisonnement (raisons d’agir) forment la terre nourricière d’un engagement éclairé et mesuré.  L’engagement manifeste la conviction qu’un chemin est possible, là où tout semblait impossible.  Inviter à l’engagement n’est-ce pas alors faire retrouver la vitalité de l’intuition qui initia les grandes institutions et qui ont un tant soit peu humanisé le monde ?

L’engagement aujourd’hui : Il nécessite de s’impliquer dans la vie, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui avec ses enjeux, ses défis, ses opportunités, ses crises. Cela veut dire aussi s’impliquer avec d’autres, vouloir répondre avec eux aux questions que l’on se pose sur le sens de nos activités et, plus largement, aux questions que l’on se pose sur le sens de la vie. Quant à s’impliquer dans sa vie, cela veut dire  » se donner « . Mettre ses compétences au service d’une cause. Cependant, il faut accepter le changement car c’est la première condition pour devenir apte à s’engager. Pour s’engager, il faut être de bonne volonté, c’est-à-dire avoir une volonté ouverte.

L’engagement pourquoi ? Fruit d’une longue réflexion, c’est un passage à l’acte. C’est passer du spectateur à l’acteur. Animé par une conviction personnelle profonde, l’engagement demande une implication sincère et ne peut être imposé de l’extérieur, sinon ce pourrait être de l’embrigadement. On peut s’engager seul ou avec d’autres qui ont la même conviction, le même appel intérieur, l’intime inspiration qui correspond aux mêmes centres d’intérêts, ou au même aboutissement de réflexions, aux mêmes samskaras, aux mêmes attractions.
Pour s’entraider, c’est une forme de communication tournée vers autrui, afin d’aider son prochain sans rien attendre en retour. C’est faire preuve d’altruisme que d’être à l’écoute des autres pour les aider. Pour se montrer solidaire, en s’investissant dans le bénévolat de manière individuelle ou collective, tourné vers autrui. C’est donner de son temps en fonction de ses disponibilités.
Pour se faire confiance, car c’est la base de tout bon rapport avec autrui. Pour se sentir en sécurité il faut que chacun respecte sa parole, ses promesses et soit loyal et fraternel. Pour ses valeurs positives d’entraide, de solidarité, de fraternité, de confiance, l’engagement contribue à améliorer le fait de vivre ensemble ; surtout s’il est spontané, bénévole et total. La grandeur de l’engagement vient de ce qu’il fait advenir quelqu’un. Car qui s’est engagé n’est pas le même avant et après s’être engagé.

L’engagement à quoi ? Chacun détermine pour lui-même ce qui est le plus important à un moment donné et qui vaut la peine à ses yeux de faire autant d’effort … qui n’en sont plus alors, puisqu’animé par la passion, par l’intime conviction que c’est le choix juste et l’action juste à mener. Mû par l’enthousiasme et la foi, il est tellement déterminé que son effort passe inaperçu à ses yeux. Une personne engagée va prendre position pour des problèmes politiques ou sociaux, ou va faire des choix spécifiques : le volontariat de solidarité internationale (VSI), le service civique (service volontaire européen (SVE), un stage en entreprise (pour allier études et vie professionnelle), tous sont des engagements.

L’engagement comment ? S’engager, de l’intérieur ou vers l’extérieur ? De l’intérieur : c’est indispensable pour perdurer, mais cela doit être mis en pratique ! Vers l’extérieur : Il doit l’être pour se concrétiser, sinon la simple bonne intention n’est pas suffisante. L’engagement individuel, dans une attitude positive invite au respect de soi et des autres, à la civilité, à la politesse. L’engagement collectif privilégie le groupe et ce qu’on pourrait appeler le  » être avec « , en étant attentif aux personnes avec lesquelles on s’engage. Il y a une notion d’alliance dans l’engagement ; quand on s’engage à faire sa vie avec quelqu’un, quand on s’engage à accueillir un enfant, quand on s’engage professionnellement. Dans une relation de confiance, on donne de soi-même, dans un lâcher prise et cet état d’abandon nous fait nous découvrir nous-même. Il faut savoir lâcher prise pour que la nouveauté puisse advenir et aboutir à une décision qui enclenche l’engagement d’une nouvelle expérience. Ces espaces d’engagement peuvent être le lieu d’une nouvelle créativité et d’une innovation capable d’alimenter et de nourrir ce qui en nous n’est pas toujours investi. Exemples d’engagement : Aide aux personnes en difficultés, protection de l’environnement, défendre les intérêts des habitants de son quartier, acheter local ou français, ne rien gaspiller etc.

L’engagement jusqu’où ? Tous les engagements se valent-ils ? Jusqu’à quel point rester engagé ?  » Mourir pour des idées, d’accord mais de mort lente !  » a dit Brassens. Dans le monde du travail, c’est poser des limites afin de ne pas effacer sa vie privée. L’engagement se refuse à la faiblesse, au manque de volonté, à l’indécision, au doute, à la lâcheté. Mais que faire si notre engagement devient trop volontaire, obstiné, entêté, emporté, voire borné ? La volonté se fait alors tyrannique et déraisonnable. S’il y a de la beauté dans l’engagement tenu et maintenu, force de la constance et de la fidélité à la parole donnée, il y aurait faiblesse à se crisper sur lui comme à une pieuse habitude ou à une obsession ; Bêtise de tenir son engagement pour tenir son engagement sous prétexte qu’on a dit qu’on le tiendrait… Parce que l’engagement connait les évolutions, les changements temporels. Tenir son engagement revient alors à le renouveler en tenant compte des circonstances. Et cette intelligence-là n’est pas le  » retourner sa veste  » de l’opportuniste ! … A l’intelligence de l’engagement doit faire écho l’exigence de la lucidité. Ce n’est qu’à ce prix que l’engagement ne dérive pas en enrôlement dans les dogmatismes et en tentation de l’intégrisme. 

Faut-il s’engager ? L’engagement pose le problème de la morale et du rapport aux autres : Ne vais-je m’engager que pour ce qui me concerne directement (défendre mes droits, mes intérêts) ou également pour l’idée que je me fais du bien commun, de l’intérêt général ? Mais peut-on s’engager pour l’intérêt général sans y trouver quelque intérêt personnel ? Au bout du compte, ne s’engage-t-on pas toujours pour soi-même ? Ou encore : Sommes-nous tous égaux devant la possibilité de l’engagement ? Où est-ce que je me situe entre l’hésitation à m’engager et l’entêtement à m’engager ? Individualisme et engagement sont-ils compatibles ? S’engager, est-ce perdre ou affirmer sa liberté ? Voilà bien des thèmes de réflexion passionnants…

D’où vient notre engagement ? Notre engagement repose sur notre liberté intérieure. La motivation de départ est capitale. Pour quelle raison profonde ai-je ainsi envie de m’impliquer dans l’action ? Pour servir quel propos ? Car c’est de cette motivation de départ que vont découler toutes les futures conséquences, c’est à partir d’elle que va se dérouler la  » pelote  » des réactions en chaîne… Notre engagement est enraciné et nourri par la foi et la conviction dans un domaine particulier qui sont comme les racines et la sève qui viennent déclencher ce passage à l’acte. L’engagement ne se déclenche que si le terrain qui le soutient est ensemencé par des graines qui germeront dès que les conditions seront favorables. Comme un engagement nous lie, il convient de bien choisir l’objet de notre engagement… Personne ne peut et ne doit le faire à notre place !

S’engager avec et par le Yoga

Le se de s’engager engage le soi

La pratique du Yoga en allégeant et en assainissant notre terrain physique, énergétique et psychologique réveille les graines de la transformation qui dormaient, déclenchant dans notre for intérieur l’intime conviction, la croyance ferme et profonde de ce que devrait être notre mission de vie (svadharma). Notre engagement est ainsi enraciné en nous, avant de dépendre de l’extérieur. L’engagement se décide d’abord, puis pour ne pas rester juste un vœu pieux, il doit se traduire en action.

Patanjali nous y encourage !

L’engagement dans les Yoga Sutra

Dans le Yoga Sutra (YS), Patanjali offre déjà une foule de conseils dès le premier chapitre : Mettre en place une action (YS-I.12) assidue (YS-I.13), pendant longtemps (YS-I.14), avec foi (YS-I.20) détermination (YS-I.21), selon son tempérament (YS-I.22), en évitant de s’éparpiller (YS-I.32).
Dans le deuxième chapitre il développe le sens de l’action (YS-II.1), nous interroge sur l’origine de nos actions (YS-II.12), selon le contexte (YS-II.13). Il nous montre le rapport direct entre nos intentions et notre ressenti (YS-II.14) et que tout change constamment (YS-II.15). Il nous suggère d’éviter les souffrances dans nos engagements futurs (YS-II.16) et de garder un certain recul. S’engager oui, mais s’en libérer (YS-II.18), savoir faire la part des choses (YS-II.24) et se méfier de nos identifications (YS-II.25). Il s’attarde sur une éthique relationnelle et personnelle nécessaire pour avancer dans nos engagements en bonne intelligence (YS-II.30 à YS-II.45).
Son troisième chapitre met en garde sur nos capacités qui facilitent nos actions engagées mais qui peuvent perturber notre tranquillité intérieure (YS-III.37), surtout si on cède à la flatterie (YS-III.51) !
Enfin dans le quatrième chapitre, il nous alerte sur l’influence que nous pouvons avoir sur les autres (YS-IV.5), les traces que nous pouvons laisser derrière nous (YS-IV.6), la coloration de nos actes (YS-IV.7), notre inconscient qui influence les choix de nos engagements (YS-IV.8) et que tout est à mettre en perspective (YS-IV.15).

L’engagement dans la Bhagavad Gita

Krishna et Arjuna lors de la bataille de Kurukshetra (illustration des XVIIIe et XIXe siècles).

S’engager oui, mais comment ? Qu’est-ce que l’action juste ? Là encore la philosophie indienne répond à nos interrogations avec le texte inspirant de la Bhagavad Gita (BG), dont les versets sur l’action sont mentionnés sous le terme de Karma Yoga.

Krisna conseille Arjuna…
Dans le 2° chant : Être détaché dans l’action et/mais ne pas s’abstenir d’agir (BG-2.47 à 50) – Rester égal dans le succès comme dans l’échec (BG-2.48) – Le détachement intérieur est supérieur à l’action intéressée (BG-2.49) – Il doit être la source de toute action (BG-2.50).
Dans le 3° chant : Ce n’est pas en s’abstenant d’agir que l’on devient détaché (BG-3.4) – Personne ne peut demeurer sans agir (BG-3.5) – Agir tout en maitrisant ses sens (BG-3.7) – Faire l’action qui s’impose (BG-3.8) – Sans attache (BG-3.19) – En prenant en compte le bien-être du monde (BG-3.20) – Le sage s’y emploie (BG-3.25) – Sans perturber les autres (BG-3.26) – Sans les désorienter (BG-3.29).
Dans le 4° chant : Que signifie agir ? (BG-4.16) – Bien agir, mal agir ou ne pas agir ? (BG-4.17) – Le sage voit la non-action dans l’acte et l’acte dans la non-action (BG-4.18) – Sans désirs et sans traces (BG-4.19) – détaché, il est dans le contentement (BG-4.20) – Au-delà de toute dualité, de toute envie (BG-4.22) – Ses actes ne l’enchaînent pas (BG-4.41) – Ne doute pas et engage-toi Arjuna ! (BG-4.42).
Dans le 5° chant : Renoncer ou agir ? (BG-5.1) – Expérimenter ou comprendre ? (BG-5.4) – Action et connaissance ne font qu’un (BG-5.5) – Le sage détaché est en paix (BG-5.12).
Dans le 6° chant : Le sage agit juste parce qu’il le faut (BG-6.1) – Il est maître de ses sens (BG-6.8) – Modéré en tout, son détachement l’affranchit de toute souffrance (BG-6.17).
Dans le 17° chant : Krisna met en garde d’un ascétisme excessif (BG-17.5 et BG-17.6).
Dans le 18° chant : Rechercher l’action juste (BG-18.9) – Sans fuir les actions difficiles (BG-18.10) – Ne pas renoncer à l’action mais à ses fruits (BG-18.11) – Savoir qui agit, comment agir et dans quel but (BG-18.18 et BG-18.19) – L’action pure (BG-18.23) – L’acteur pur (BG-18.26) – La conscience pure (BG-18.30).

Mettre en pratique

Il ne nous reste plus qu’à mettre en pratique, si ce n’était déjà fait, avec discernement et enthousiasme. Avancer sans être sûr du résultat, mais avec la confiance qui fait dire à Marc Twain « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ! ».

Antibes, le 8 mars 2023
yoganath.net – 06 61 15 97 77 – moulis.nath@orange.fr

Photo by mostafa meraji.